Shigeru Ban
TEMPURA magazine N°17 - Printemps 2024
© Iorgis Matyassy
Que ce soit pour les réfugiés des grandes catastrophes climatiques ou pour de riches New-Yorkais, l’architecte Shigeru Ban conçoit des bâtiments pour que les gens se sentent bien. Car le prix Pritzker 2014, écologiste avant l’heure, défend une approche sociale de l’architecture, qui prenne soin aussi bien des hommes que des lieux. Quitte à repenser en profondeur nos façons d’habiter ?
EPV/ En architecture, le « low-tech » est presque devenu une nécessité, principalement en raison du coût écologique des matériaux conventionnels comme le béton. Vous avez été l’un des pionniers à utiliser des biomatériaux tels que des tubes en papier, dès les années 1980. Aviez-vous une sensibilité écologique avant l’heure ?
SB/ Je ne pense pas, ou en tout cas, cela ne s’est pas fait dans cet ordre. J’ai démarré ma carrière en designant une exposition sur l’architecte finlandais Alvar Aalto. Pour des questions de budget, et tout simplement parce que je trouvais absurde d’utiliser du bois pour une construction temporaire, j’ai cherché un matériau peu coûteux et disponible. Il se trouve que les tubes en papier (paper tubes), on en trouvait partout. Tout est donc parti d’une contrainte matérielle. Il faut avoir à l’esprit qu’à cette époque, au début des années 1980, personne ne s’intéressait aux questions environnementales. Utiliser ce genre de matériau pour une exposition temporaire passait encore, mais pour des constructions plus vastes ou durables, c’était très inhabituel. Encore aujourd’hui, les contraintes législatives sont telles qu’il est très difficile d’utiliser des paper tubes pour des constructions permanentes. Au-delà de son intérêt écologique, ce qui m’intéressait surtout, c’était l’humilité de ce genre de matériau : brut, peu coûteux. Et surtout, disponible partout. Par la suite, cette structure est devenue la base d’une partie de mon travail, notamment en architecture d’urgence lors des catastrophes naturelles ou des conflits. Après le génocide rwandais en 1994, les réfugiés étaient logés dans des tentes mal installées, insalubres, indignes. J’ai donc proposé au Haut Comité aux réfugiés de l’ONU d’utiliser des paper tubes, étant donné que l’on en trouvait facilement à Kigali. C’est cette même idée qui a guidé mon travail lors d’autres catastrophes comme à Fukushima en 2011 ou, plus récemment, à Noto, lors du tremblement de terre de janvier dernier. […]
« La durabilité d’une maison ou d’un immeuble n’a rien à voir avec le matériau qui a servi à sa construction. Il s’agit plutôt de l’amour que l’on a pour un bâtiment. »
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Un Japonais sur dix a plus de 80 ans aujourd’hui, et l’on estime que la population va décroître drastiquement ces 20 prochaines années. Quel est l’impact de cette crise démographique en termes d’architecture et de bâti ?
Bien sûr, un nombre croissant de maisons vont se retrouver vacantes, les descendants ne voulant pas prendre en charge de coûteux travaux, ou ne voulant tout simplement pas s’installer dans des régions sans services publics. Mais au-delà de ça, il y a tout un savoir-faire qui tend à disparaître. Avec les pressions pour fabriquer des maisons toujours moins coûteuses, préfabriquées, avec des matériaux bon marché, les savoirs des artisans sont en train de disparaître, car devenus obsolètes. C’est une des raisons pour lesquelles il y a certains bâtiments traditionnels au Japon, tels que le sanctuaire d’Ise, qui sont reconstruits tous les 20 ans. Cela permet de préserver des savoir-faire, une certaine tradition dans la construction en bois qui, autrement, aurait disparu. Mais cela relève plutôt de l’exception.[…]