Sho Miyashita
TEMPURA magazine N°15 - Automne 2023
© Yves Mourtada
La pêche a été bonne. Du thon, des crevettes sauvages aussi, « vivantes ». Sho Miyashita pense à haute voix, « qu’est-ce que je vais faire avec ces crevettes… ». La réponse quelques heures plus tard au 60 boulevard Voltaire, à Paris, sur le comptoir en bois clair du Haikara Deep Fried : cuites en tempura, sel au sancho et zeste de citron.
« Je m’adapte en fonction de ce que je reçois, et puis j’aime bien changer, essayer des trucs… » C’est que le chef japonais de tout juste 36 ans, dont 13 à Paris, n’a plus rien à prouver : un foodtruck désormais culte, Munchies ; un izakaya, Haikara, qui attire tous les cool kids du 11e arrondissement avec son décor street et ses vins nature ; et un restaurant de friture, Haikara Deep Fried, à peine ouvert et déjà fameux pour ses karaage croustillants ou son tonkatsu – comprendre du porc cuit à basse température pendant 12h, enrobé de panure panko et frit à la commande. « Paris, c’est unique, y a tellement de restos, un réseau de chefs incroyable. Mais c’est aussi beaucoup de travail, de soirées, d’alcool... Il faut avoir de l’énergie », avoue-t-il entre deux services, tout juste le temps de souffler un peu, de vérifier les commandes, l’inventaire, et de saluer l’équipe qui a pris le relais chez Haikara premier du nom, où officie désormais la cheffe Odile Davienne. « Elle pratique l’aikido et a vécu deux ans à Tokyo. Elle adore le Japon », précise Sho, sourire en coin. […]
« Pendant longtemps, j’étais trop aveuglé par la gastronomie, et je m’étais oublié… avec le food-truck, puis Haikara, j’ai voulu faire quelque chose qui me ressemble, qui mélange toutes les cultures que j’aime. Mais ça n’empêche pas de faire attention aux produits, aux préparations. »
[…] Sho pose un morceau de thon rouge de plusieurs kilos sur son plan de travail. Un thon de semi-élevage d’un fournisseur qui connaît les besoins des chefs japonais. Au-dessus, la partie la plus rouge, à la texture ferme, est l’akami. La couche la plus grasse, caractérisée par sa teinte laiteuse et sa texture fondante et délicate, est le toro. C’est la plus noble aussi, celle que l’on sert aux grandes occasions. Sho passe son couteau et détaille des tranches de sashimi délicates qu’il dispose sur un plat. Avec une cuillère, il pose quelques oeufs de saumon ikura sur le dessus. Dans une petite assiette, quelques feuilles de nori et de shiso. Un bol de riz. « Ce plat est un peu l’esprit de mon restaurant, il est simple, gourmand. Mais il est surtout convivial. Je voulais retrouver l’esprit des temaki, ces rouleaux que l’on fait soi-même entre amis, quand on pioche dans un plat de poisson cru disposé au centre de la table, sans trop se formaliser, et qu’on mange à la main. » Sho en prépare un qu’il nous tend. L’algue craquante et légèrement salée contraste avec le riz fondant et le poisson qui se délite sous la langue. Un plaisir régressif, que le contact avec les mains désacralise ; on lèche les morceaux d’algue restés collés aux doigts. […]