Hokkaido

TEMPURA magazine N°3 - Automne 2020

© Emil Pacha Valencia

Le Hokkaido, île la plus septentrionale de l’archipel et terre promise des premiers habitants du Japon, serait peuplé de légendes. Nous y avons trouvé des désirs d’ailleurs, d’autrement. Et nous y avons admirablement bien mangé. Croquis de voyage sur le chemin de la route du Nord. 

Je ne m’attendais pas à ça. L’arrivée sans soleil à la gare de Sapporo – l’aéroport est à une petite demi-heure de train. La traversée de la ville en sous-terrain. Ville sous la ville. Une sorte de galerie marchande interminable où s’alignent boutiques de vêtements bon marché et restaurants de nouilles (et une spécialité : la curry soup, à essayer). Le bruit des annonces qui promettent les meilleurs prix, les meilleures offres, y a pas mieux ailleurs. Je me fais bousculer par une dame pressée qui trace sa route sans se retourner. Un groupe de lycéennes en uniformes bleu et blanc rient sans raison apparente. À la sortie, pluie et ciel bas. On nous avait pourtant prévenu, Hokkaido en septembre, c’est froid et humide, allez plutôt à Okinawa, il y a la mer, et en cette saison, c’est pas cher. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on fera taire les mauvaises langues : l’hôtel nous propose une vue sur un parking vide. J’aurais dû m’habiller plus chaudement. Attendre demain. […]

© Emil Pacha Valencia

[…] Prenez la 453 depuis Sapporo vers le sud, jusqu’à l’endroit où elle bifurque avec la 730. Roulez encore quelques instants à travers une dense forêt de pins. Baissez les vitres pour laisser entrer l’air frais, le chant des oiseaux. Sortez un bras pour capturer les dernières gouttes de pluie de la journée. Il est 18 h et le soleil se couche déjà. D’un coup, devant vous, immense, bleu, profond, à perte de vue : le lac Shikotsu vous absorbe. La pluie a cessé net. Quelques pédalos fatigués sont amarrés près d’un embarcadère. Le dernier café tire son rideau métallique. Silence. Approchez-vous, vous verrez, il y a un banc en bois. Asseyezvous. Au-dessus de vous planent des nuages inquiétants, respirez profondément ; vous ne craignez plus rien ici. […]

On dit le voyage lointain fini, obsolète, ancien monde. Incompatible avec les exigences climatiques. Il faudrait voyager local, consommer local, mourir local. D’accord. Mais renoncer au voyage, c’est se couper de l’ailleurs, de ce qui secoue nos acquis, nous oblige à questionner notre monde. Imaginer l’autre, c’est risquer l’essentialisme, troquer les crayons fins pour la brosse à gros traits.

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