Martin Parr
TEMPURA magazine Hors-série Manger le Japon - Automne 2024
« Je fais des photos sérieuses maquillées en divertissement. »
Voilà comment le photographe anglais Martin Parr, qualifie son travail. Un oeil qu’il a baladé partout où l’humain raconte plus que ce qu’il ne montre : des vacanciers à la peau caramel à Benidorm, en Espagne ; des touristes un peu perdus devant les pyramides de Chichén Itzá, au Mexique ; des enfants dégustant une glace fondue sous un ciel orageux à Brighton, en Angleterre… Avant même l’avènement des smartphones et des selfies, Martin Parr posait déjà ce regard plein de tendresse sur les affres de la modernité, et sur nos petites manières qui accompagnent cet acte aussi universel que quotidien : manger.
EPV/ Quand êtes-vous allé au Japon pour la première fois ?
MP/ Je me suis rendu au Japon pour la première fois au milieu des années 1980. J’avais du boulot, mais j’étais surtout très curieux de découvrir les livres photo. Il faut se rappeler qu’à cette époque, des photographes comme Daido Moriyama étaient totalement inconnus en Europe ou aux États-Unis. Je reviens d’une rétrospective consacrée à Daido au Photo Élysée, à Lausanne. Et je réalise à quel point il est devenu un photographe extrêmement populaire aujourd’hui. Mais ce n’était pas le cas dans les années 1980. Je débarque donc au Japon et je me rends dans les librairies que Bruce Gilden, qui est aussi un grand fan de livres photo japonais, m’avait conseillées. Parfois très loin en banlieue ! C’était très excitant de partir à la recherche de ces livres, notamment ceux de la période Provoke1. Plonger dans des étagères de livres et tomber sur Bye-Bye Photography (1972) de Daido Moriyama était très excitant. J’ai dû me rendre cinq ou six fois au Japon et, en 2004, avec Gerry Badger nous avons rassemblé tout ça dans un livre, The Photobook: A History, avec tout un chapitre consacré aux livres photo japonais. […]
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Instagram a en effet généralisé le fait de prendre en photo ses plats. Qu’est-ce qu’une bonne photographie culinaire pour vous ?
Si je pouvais vous le dire, je ne serais plus photographe (rires). Je pense que ce n’est pas qu’une question de technique, cela dépend aussi du sujet. La nourriture snob des grands restaurants a juste l’air de nourriture snob, c’est très ennuyeux. Alors que la junk food, avec ses textures artificielles et ses couleurs criardes, est on ne peut plus intéressante. Et il y a toujours un élément de surprise. Un peu comme lorsque vous achetez des plats tout faits au supermarché, une fois déballés, la nourriture dans l’assiette est totalement différente de la photo sur le carton. Donc au Japon, je ne suis pas parti à la recherche des sushi immaculés ou des repas gastronomiques traditionnels. J’ai photographié les saucisses industrielles et les desserts à la crème bourrés d’additifs. C’est tellement plus exaltant. […]