Takesada Matsutani

TEMPURA magazine N°9 - Printemps 2022

© Iorgis Matyassy

« L’art nous montre qu’il n’y a pas qu’une seule manière de faire les choses. Il nous enseigne qu’il n’y a pas de frontières, et qu’en cherchant un peu, on peut trouver la façon qui nous correspond. »

Courant fort

Depuis son lit, Takesada Matsutani peint le plafond. Il a 20 ans et est atteint de la tuberculose. On est à Osaka en 1957, et de ces premiers dessins qu’il conserve soigneusement dans un tiroir de son atelier parisien, il ne garde ni tristesse ni nostalgie. Car l’artiste français d’adoption ne conçoit pas l’art comme une douleur mais comme une victoire sur la mort. Un courant sans début ni fin sur lequel il a décidé de laisser voguer son esprit. À 85 ans, Takesada Matsutani souffle encore ses bulles de colle avec cette même force, comme un défi lancé au temps. Et un message au monde : Je suis vivant.

EPV / Vous êtes né à Osaka à la fin des années 1930. Qu’est-ce qui vous a amené à Paris ?

TM / En 1966, j’ai gagné un prix organisé par le journal Mainichi et l’Institut français de Tokyo. J’ai obtenu une bourse du gouvernement français pour partir étudier six mois en France, tous frais payés. Je n’avais pas d’argent à l’époque, c’était donc une opportunité unique, un véritable rêve qui se réalisait. Pendant ce séjour, en plus des cours de français, j’ai beaucoup voyagé, car je voulais m’imprégner de la culture artistique occidentale. J’ai visité l’Italie, la Grèce, l’Égypte… Je m’intéressais déjà à la gravure à l’époque, et notamment au travail de Stanley William Hayter à l’Atelier 17. Un jour, j'ai poussé la porte de son atelier, rue Daguerre. Je ne suis plus reparti.

Qu’est-ce qui vous a fait rester ?

Stanley William Hayter m’a accepté dans son atelier, mais, surtout, j’ai rencontré mon épouse, qui m’a initié à la sérigraphie1. Je pense aussi que le fait d’être un artiste étranger en France me plaçait au carrefour de plusieurs traditions artistiques, me donnant une certaine « objectivité », une forme de recul par rapport à ma création. Je pouvais alors comparer ce qui était oriental ou occidental, artistique ou non, etc. Cela m’a permis d’accéder à une certaine liberté, alors qu’au Japon, j’avais le sentiment d’être arrivé au bout de mes possibilités. Et Paris était à l’époque unique au niveau artistique. Il se passait toujours quelque chose d’intéressant, des artistes venus de partout s’y croisaient, des manières de penser différentes s’y côtoyaient. Au Japon, dans les années 1960, il était très difficile de rencontrer des artistes étrangers, nous étions donc dans une sorte de vase clos artistique et culturel. Je sortais d’une période où j’avais créé beaucoup d’oeuvres tridimensionnelles, j’avais besoin de changement, je voulais faire des choses plus planes. À l’atelier 17, j’ai eu l’opportunité de travailler la gravure. […]

« Le principe de Gutai était très simple : Don’t copy, do it new”. Il fallait se défaire des influences de l’étranger pour créer du neuf, des choses qui n’avaient jamais été faites. »

[…]
Avant votre venue en France, vous aviez rejoint Gutai. Qu’est-ce qui vous a attiré chez eux ?

Je suis originaire d’Osaka. Gutai est né dans la région du Kansai, entre Osaka et Kobe, pas loin de ma région natale. Une zone où résidaient à l’époque de nombreux jeunes artistes. Sous l’impulsion de Jiro Yoshihara, ils ont créé un groupe d’art expérimental. J’en avais entendu parlé, mais à l’époque, au milieu des années 1950, je faisais surtout des oeuvres figuratives. Il faut comprendre que Gutai n’est pas une école, il n’y a pas d’aspect académique formel avec un apprentissage auprès d’un maître. Pour les rejoindre, il fallait présenter une oeuvre nouvelle, et si tous les membres estimaient qu’elle était valable, qu’elle présentait quelque chose d’artistiquement novateur, ils vous acceptaient. Grâce à un ami travaillant à l’université, j’avais pu observer des globules et des cellules au microscope. Cela m'a inspiré. Un matin, j’ai versé de la colle à bois sur une feuille. C’était un jour venteux. Je me suis rendu compte que la colle à moitié séchée était plus malléable, que je pouvais lui donner certaines formes, en la découpant, par exemple. On m’a tout de suite dit qu’il y avait quelque chose de sensuel, d’organique dans les formes que je créais, et que je devrais continuer. J’en ai fait un tableau que j’ai montré aux membres de Gutai. Ils ont trouvé cela intéressant et ont accepté que je les rejoigne. C’est ce qui a amorcé mon travail avec la colle vinylique.

Quels étaient les principes de Gutai à l’époque ?

C’était très simple : « Don’t copy, do it new ». L’histoire du Japon est marquée par des emprunts et des influences de l’étranger, et notamment de l’Occident : philosophie, technologies et, bien sûr, art. C’est normal, cela fait partie de l’histoire des sociétés et des cultures. Mais, pour Yoshihara, il fallait se défaire de ces influences pour créer du neuf, des choses qui n’avaient jamais été faites. […]

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