Kanako Uzawa
TEMPURA magazine N°8 - Hiver 2021
© Dan Mariner
« Au Japon, l’accent est mis sur “la culture”. Les jeunes Ainu sont donc assez peu politisés. La question des droits émerge rarement. Mais cela est aussi dû à des difficultés d’accès aux informations : si vous ne savez pas que ces droits existent, comment alors les revendiquer ? »
La voix du Nord
Kanako Uzawa n’a pas encore décidé. Chercheuse ? Activiste ? Artiste ? Et si elle n’avait pas besoin de choisir ? Sa force, elle la puise tant dans ses racines que dans les multiples casquettes qu’elle revêt. Mais toujours avec un objectif bien précis : faire entendre sa voix. Ou plutôt la voix des siens, les Ainu, peuple autochtone du Japon dont l’histoire et les luttes ont trop souvent été ignorées. Dans le nord de la Norvège, là où le soleil ne se lève plus en hiver, Kanako Uzawa partage son temps entre publications scientifiques et spectacles de danse ainu, lorsqu’elle n’est pas en train de préparer sa prochaine exposition sur la décolonisation. Car à l’heure des replis, Kanako Uzawa prône le dialogue, sans tabous ni faux-semblants. Regarder l’histoire en face pour mieux dessiner l’avenir. Ureshipa, auraient dit ses ancêtres : pour grandir ensemble.
EPV / Le mois dernier, vous étiez à Cologne pour l’exposition A Soul in Everything – Encounters with Ainu from the North of Japan. À peu près au même endroit où, il y a 120 ans, des Ainu étaient montrés dans ce que l’on appelait les « zoos humains »…
KU/ L’exposition au Rautenstrauch-Joest- Museum (RJM) fait partie d’un processus de décolonisation. Il reflète les liens historiques très profonds entre l’Allemagne et le Japon. À la fin du XIXe siècle, des voyageurs se rendaient au Japon pour en rapporter des artefacts, et rentraient en Allemagne avec des restes humains dans leurs valises. Dix-sept ont été identifiés comme appartenant à des Ainu. En 2017, les restes de l’un d’entre eux – dont le vol avait été attesté – ont été retournés au Japon. J’ai fait un court-métrage sur ce sujet, que l’on a montré lors de l’exposition en plus d’autres objets acquis par le muséum. L’intérêt de cette exposition n’était pas uniquement d’exposer tous ces objets, mais aussi et surtout de faire entendre la voix des Ainu d’aujourd’hui, à travers la danse, le chant, ou les photographies contemporaines de Laura Liverani. L’objectif étant de ne pas tomber dans l’exotisme ou le mythe du « bon sauvage ». Donc oui, à ce même endroit où il y a un siècle mes ancêtres étaient montrés comme des animaux, je suis là. Mais cette fois-ci, j’ai une voix.
Quelle a été la réception du public ?
Très positive. Le maire de Cologne était là, la presse, et une délégation de dix personnes du Japon. Mais je n’ai pas vraiment eu l’occasion de rencontrer les Japonais, donc je ne saurais vous dire qui ils étaient vraiment… […]
« En mettant l’emphase sur cette singularité japonaise, ce caractère unique, on renforce l’idée d’une identité “correcte” On crée aussi deux mondes, nous, les Japonais, et les autres. »
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Pensez-vous qu’avec la nouvelle génération, ces questions liées à la pureté, à l’homogénéité, vont devenir obsolètes ?
Cette idée de monoculture est très forte, très ancrée dans la société. Depuis qu’on est enfant, on grandit avec ces notions, avec l’idée qu’il existe un « comportement japonais », une « façon d’être japonais ». En mettant l’emphase sur cette singularité japonaise, ce caractère unique, on renforce l’idée d’une identité « correcte ». On crée aussi deux mondes, nous, les Japonais, et les autres. Avec, bien sûr, en creux, l’idée que l’on est meilleurs que les autres et que l’on devrait en être fiers. J’ai grandi dans cette atmosphère. Mais les choses semblent changer. Il y a plus de mixité qu’avant, on a donc plus d’opportunités d’être confrontés à la différence. Et les anciennes générations, plus conservatrices, disparaissent peu à peu. J’ai donc espoir que les choses évoluent vers plus d’inclusion et de diversité. […]