Yoshi Oida

TEMPURA magazine N°11 - Automne 2022

© Iorgis Matyassy

« Je veux me débarrasser de toutes ces couches et de toutes ces expériences. J’aimerais mourir en n’ayant rien compris de la vie. »

En un rien de temps

À 89 ans, Yoshi Oida a tout son temps. Comédien, acteur, metteur en scène, écrivain… lui qui a tout fait aspire désormais à « n’être rien », comme un pied de nez aux titres et aux honneurs, ces couches de poussière dont il aimerait se laver. Deux mois après la disparition de Peter Brook, son mentor et ami, nous l’avons rencontré pour parler de la vie mais surtout de la mort, du rôle des comédiens, de Mai 68 et de la fin des utopies. En partant, le comédien nous a attrapé par la manche. « On a parlé de quoi déjà ? » De rien, on a bien retenu la leçon.

EPV / Vous êtes né à Kobe en 1933, et vous passez les 35 premières années de votre vie au Japon. Vous débutez notamment par le kyogen. En quoi ces débuts ont pu influencer l’acteur que vous êtes devenu ?

YO / J’ai commencé par le kyogen comme un enfant européen ferait du violon, sans réelle visée professionnelle, pour faire quelque chose. Je viens du Kansai. Dans cette région tout particulièrement, les familles riches faisaient venir des maîtres de nō chez elles, qui les initiaient. Ma famille était modeste, je me suis donc plutôt mis au kyogen avec mes amis, un loisir plus populaire. Ce n’était qu’un hobby à l’origine, mais il m’a tout de même ouvert à l’univers du théâtre. J’avais 12, 13 ans.

Comment s’est faite la bascule vers le théâtre occidental ?

Pour la nouvelle année, les enfants japonais reçoivent ce que l’on appelle le otoshidama, une petite enveloppe avec de l’argent. À 14 ans, j’ai utilisé l’argent que j’avais amassé pour acheter toutes les traductions de Shakespeare. Un peu après, j’ai rejoint un groupe de théâtre amateur d’Osaka. On répétait Hamlet de Shakespeare, des pièces de Tchekhov, Molière… Mais ici encore, je n’avais pas pour objectif de devenir acteur professionnel. C’est alors que je découvre Louis Jouvet au cinéma. Et je me suis dit : je veux devenir comme lui. On dit parfois que j’ai une formation théâtrale classique japonaise, mais ce n’est pas tout à fait vrai ; ce sont véritablement les oeuvres contemporaines occidentales qui m’ont depuis toujours fasciné. […]

« C’est là que la tragédie arrive, dans le fait de ne pas réussir à concilier notre individualité et la vie en société. »

[…]
Pensez-vous donc qu’il soit important de choisir le moment de sa mort ?

Yukio Mishima disait qu’il n’avait pas choisi sa naissance, ce n’était pas sa décision, mais celle de ses parents. Nous ne choisissons pas de naître, la langue que nous parlons, les règles et les lois de la société dans laquelle on grandit… Choisir le moment où l’on mourra est donc la seule liberté de notre vie. Jean-Luc Godard a récemment décidé du moment auquel il allait mourir. Je suis également inscrit en Suisse dans une institution de suicide assisté. Psychologiquement, c’est formidable ! C’est une grande liberté de savoir que je peux mourir quand je le souhaite, bien que ce soit encore trop restrictif, car il faut une ordonnance médicale, et cela coûte cher, tout le monde ne peut se le permettre. Très récemment, une jeune cinéaste, Chie Hayakawa, a réalisé Plan 75, un film où elle décrit une société avec un gouvernement qui inciterait financièrement les personnes de plus de 75 ans à se suicider, afin d’alléger le fardeau du vieillissement de la population. Mais là encore, c’est très restreint, car alors si l’on veut mourir à 70 ans, comment fait-on ? Quand j’y pense, la première grande pièce que j’ai jouée, Le Mahabharata, aborde la mort tibétaine. Dans mon premier succès à l’opéra, Nabucco de Verdi, on meurt. En janvier prochain je dirigerai à New York une pièce inspirée par la lettre que Ryunosuke Akutagawa envoya à son meilleur ami avant de se suicider… On peut dire que la mort a été le fil conducteur de ma vie. […]

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