Kyoto

TEMPURA magazine N°11 - Automne 2022

© Emil Pacha Valencia

Pente douce

Beaucoup de mots et pas un de bon. Snob, propret, nez en l’air, quadrilatère, chaud et humide en été, terriblement froid en hiver. Même le positif ne m’a jamais excité : ville de traditions millénaires, ville aux 1 600 temples, ville du vrai Japon, ville à voir, ville à faire. En arrivant sous la pluie ce jour-là : des rues vides, quelques chats qui s’abritent sous une toiture en tôle rouillée, une passante qui passe, vite, un vieux monsieur à vélo, le parapluie en avant, sa lance pour affronter la pluie. Bruits : le ploc de l’eau qui tombe sur les vieilles maisons, les quelques taxis qui s’excuseraient presque de circuler dans des rues si étroites, un enfant qui pleure par une fenêtre ouverte, le chauffeur du bus qui annonce notre arrêt dans son micro d’une voix traînante. L’hôtel est situé en face du Kyoto Gyōen, le jardin impérial de Kyoto. Il servit de demeure à l’empereur jusqu’à la restauration de Meiji et le déménagement de la capitale à Edo, qui deviendra Tokyo. La chambre, elle, n’a rien d’impérial, mais j’ai tout de même demandé des tatami, pour l’ambiance. Le ciel se dégage enfin. Sur le rebord de la fenêtre, un papillon. […]

Autant entrer dans le vif du sujet : le seul temple que je pensais visiter n’est en fait… pas un temple.

[…] Le soir, on m’avait conseillé un sakaba à Nakanocho, sorte de bar où l’on grignote des petits plats, niché à l’arrière d’un atelier de menuiserie. La journée de travail terminée, le menuisier, donc, installe quelques « tables », plutôt des cagettes en plastique rouge, et l’on partage l’espace avec des chutes de bois. Quelques sardines grillent sur un minuscule foyer. L’accueil est bourru, c’est qu’on est plutôt habitué aux habitués ici. On m’avait prévenu : Kyoto se mérite, et mieux vaut être introduit. La bière vite avalée, je migre vers un restaurant de grillades au nom plus familier : Le Sot l’y laisse. La foule y est jeune, branchée, bruyante. À la table d’à côté, on enchaîne les selfies – je me décale pour ne pas gêner la prise de vue. Ici, on cuisine soi-même, et tout est bon dans le poulet : coeur, foie, tendons, cru, cuit, en salade. Paierait-on, en France, pour cuisiner soi-même des abats ? Il y a eu des grèves pour moins que ça. L’alcool aidant, j’oublie vite mon faux départ. Le groupe d’en face, six jeunes, six garçons, viennent de la campagne lointaine de la préfecture de Kyoto. Un voyage entre amis, la première fois à la ville, la première fois sans les parents. Leur énergie se répand partout, mais ne semble importuner personne. Elle tranche en tout cas avec la réputation de retenue de Kyoto. « Ici, c’est vraiment pas cher. Surtout si tu compares à Tokyo. Là-bas, tu peux pas sortir le soir. On vient de Kameoka, personne connaît parce que y a rien à faire, y a que des bosozoku et des rizières. Vous devriez venir visiter ! » Pas le temps de répondre que les voilà déjà repartis. Le taxi qui me ramène à l’hôtel conduit avec prudence, il flotte presque au-dessus des rues invariablement vides. Avant de descendre, le chauffeur m’indique que demain, c’est marché aux puces, et qu’il y a moyen de faire de bonnes affaires. « En tout cas, si vous aimez les vieilles choses. » […]

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