Keiichiro Shibuya

TEMPURA magazine N°13 - Printemps 2023

© Kentaro Takahashi

« Dans le futur, nous serons forcés de collaborer avec les intelligences artificielles, ne vaut-il donc pas mieux réfléchir à la manière dont nous souhaitons cohabiter avec elles ?»

Accelerando

Il n’est pas pressé, c’est le monde qui va vite. Entre ses solos au piano, ses musiques de film et ses opéras futuristes avec moines bouddhistes, androïdes intelligents et écrans géants, il y a un gouffre, diront certains. Mais pas pour Keiichiro Shibuya. Car au fond, quelle que soit la forme, c’est le coeur humain que le compositeur sonde avec la détermination de celui qui ne veut pas être laissé sur le quai du train en marche. Depuis son studio discret au coeur de Tokyo ou sur les planches du théâtre du Châtelet, il capte les frémissements de la vie qu’il traduit en musique, autant pour créer des ponts qu’ouvrir de nouvelles frontières.

EPV/ Il y avait de la musique en entrant, je vous ai peut-être dérangé… Vous composiez ?

KS/ Je travaille en effet sur un projet intéressant en ce moment. Il y a un acteur assez connu au Japon, Shingo Katori, qui est également peintre, et avec qui je collabore parfois. Vous le connaissez peut-être, il avait exposé dans l’espace souterrain du Carrousel du Louvre il y a quelques années1. Là, il prépare une nouvelle expo au Shibuya Hikarie, dans un très grand espace2. Il m’a donc proposé de créer l’ambiance sonore de l’exposition. Voilà ce sur quoi j’étais en train de bosser quand vous êtes arrivé.

Vous arrive-t-il souvent de composer des musiques pour des musées ou des expositions ?

Oui, pour des expos de photographies, de peintures, des installations d’art contemporain… Mais je n’en suis jamais totalement satisfait, à vrai dire. C’est un exercice très difficile. Car le sujet principal dans ce genre d’exposition, c’est l’oeuvre d’art qui est présentée. Il ne faut donc pas que la musique empiète sur le sujet, sur ce pour quoi les gens sont venus. J’ai tenté de résoudre cela une fois en transposant les données des photos exposées en musique grâce à un programme informatique. Le résultat, c’était une sorte de noise absolument inaudible (rires). Mais il y avait une connexion très forte avec l’oeuvre. J’ai donc tourné les enceintes, afin qu’elles soient dirigées vers le mur et non pas vers les visiteurs, ce qui a adouci le son et permis à la musique de ne pas prendre le pas sur l’oeuvre.

Avez-vous appliqué la même idée ici ?

Pour ce projet, j’ai adopté une autre approche. J’ai un énorme dossier de 10 Go de sons qu’un programme associe de manière aléatoire. Un visiteur peut rester trois heures, il n’entendra jamais deux fois le même son. Ça donne ça. (Il lance le programme sur son ordinateur.) […]


« La première fois que j’ai rencontré un androïde, j’ai d’abord eu un peu peur, puis j’ai senti qu’il ouvrirait de nouvelles possibilités pour la musique. »

[…]
Vous avez par exemple improvisé au piano avec Alter3, qui est doté d’une intelligence artificielle lui permettant de répondre à votre jeu. En quoi est-ce différent d’une improvisation avec un autre être humain ?

C’est complètement différent. Improviser avec un humain peut parfois s’apparenter à un combat, à une bataille technique, d’ego. Avec un robot ou une intelligence artificielle, c’est impossible. Si je joue mal, il chantera très mal. Si je joue bien, il chantera bien, et cela donne quelque chose de très intéressant. Je dois le suivre tout autant qu’il me suit, ce qui influence grandement mon jeu – et vice versa. Voilà un bon exemple d’une collaboration, d’un dialogue entre humain et intelligence artificielle qui permet d’explorer de nouveaux horizons. J’ai envie de dire aux Européens qui nous lisent : n’ayez pas peur, on peut dialoguer avec les intelligences artificielles (rires).

Ne pensez-vous pas que cela peut nous transformer ?

Mais l’on doit changer, on ne peut pas rester tel quel. Que ce soit dans l’art ou ailleurs, si nous continuons sur la même voie, sans se regarder de manière critique et essayer de changer, d’ici 100 ans, le monde sera fini. Nous devons nous transformer, et les robots peuvent servir à cela. […]

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