Kenta Anzai

TEMPURA magazine Hors-série Made in Japan - Printemps 2023

© Kentaro Takahashi

Sculpter la lumière

À 43 ans, Kenta Anzai est un des céramistes les plus prometteurs de sa génération. Ses pièces noires travaillées à l’urushi sont convoitées par les collectionneurs du monde entier. Discret, l’artiste travaille dans la région qui l’a vu naître, Fukushima, d’où il puise encore l’inspiration pour créer des oeuvres intemporelles.

La première chose qu’il fait en entrant, c’est allumer la musique sur une petite enceinte. Une musique douce, mélodique, plutôt un fond sonore. Je ne sais pas si c’est sa façon de nous mettre à l’aise ou s’il travaille comme ça, mais l’ambiance devient tout à coup studieuse, solennelle. On baisse naturellement la voix. L’atelier semble inoccupé tant il est bien rangé. Quelques étagères en bois blond. Des vitres immaculées qui laissent filtrer une lumière douce de milieu d’après-midi. Des murs blanc crème, un parquet en chêne clair. Au milieu trône un petit tour électrique, une bassine en bois remplie d’eau, une brosse et pas une tache. Pas de papiers ou d’annotations, pas de canettes de café ou de corbeille qu’on aurait oubliée de vider. L’atelier de Kenta Anzai ressemble plus à un cabinet médical aseptisé qu’à la pièce de travail d’un céramiste. « Je me suis installé ici il y a une dizaine d’années. Mes parents ne vivent pas loin. C’est ici que je me sens bien. » Il suffit de taper son nom sur internet pour se rendre compte que Kenta Anzai est à la fois un des artistes céramistes les plus en vue du moment, mais aussi l’un des plus discrets : pas d’Instagram, pas de page Facebook, pas même un site personnel, et le peu de photos qu’on trouve de lui proviennent des sites des galeries qui le représentent. Un vase du céramiste de Fukushima peut facilement s’échanger à 5 000 euros – si on a la chance d’en trouver un. « J’ai des commandes qui remontent à 2016, et je n’ai toujours pas commencé à travailler dessus, sourit l’artiste. C’est ce que j’adore dans ce métier : on a le droit d’être en retard. » […]

« Le goût peut varier en fonction des cultures. Mais je pense qu’à la racine, il y a quelque chose d’universel que l’on partage tous. »

[…] Les premières traces de céramique japonaise, le togei ou yakimono, « chose cuite », remonteraient à l’ère Jômon (- 15 000 à - 300 ans avant notre ère). L’argile était alors cuite à feu ouvert et essentiellement utilitaire. C’est vers la fin de cette période qu’apparaissent les fameuses figurines Dogu aux yeux exorbités ainsi que les motifs flammèches et différentes ornementations décoratives. L’âge d’or de la céramique japonaise, qui influe encore aujourd’hui sur la création contemporaine, est principalement lié au développement de la cérémonie du thé à partir du XVe siècle. C’est à cette période que les fameux fours – Tamba, Shigaraki, Echizen, Bizen, Seto… – inscrivent leur suprématie et permettent à des dynasties de potiers d’émerger. Aujourd’hui encore, en se baladant dans les régions de Bizen ou de Tokoname, on peut visiter des centaines de fours en activité qui fournissent l’essentiel de la production nationale de céramiques traditionnelles, et croiser des Trésors nationaux vivants n’est pas rare. Pourtant, Kenta Anzai dit ne s’inscrire dans aucune lignée, lui qui n’a pas suivi l’apprentissage long auprès d’un maître comme il est de coutume dans la profession. « Je n’étais pas attiré par la céramique en particulier. Ce n’est peut-être pas respectueux vis-à-vis de ceux pour qui c’est une vraie passion, mais pour moi, c’est presque un hasard. Je voulais fabriquer des objets, et la céramique a été un médium, mais ça aurait très bien pu être autre chose. Lorsque j’ai démarré, je n’avais aucune connaissance de la céramique, ni de fabricant préféré ; à vrai dire je n’y connais pas grand-chose. Mais avec le recul, je pense que ce n’est pas une mauvaise chose : ne rien connaître m’a offert une certaine liberté. » […]

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