Kim Kyungduk

TEMPURA magazine N°17 - Printemps 2024

© Emil Pacha Valencia

À l’abri des montagnes de la préfecture de Toyama, perdu entre les rizières, un céramiste tourne jour après jour les assiettes et les plats qui viendront embellir les mets les plus délicats de la région. Kim Kyungduk n’a cure des règles ou des traditions, s’il crée, c’est par besoin vital, comme un enfant renifle à pleins poumons une fleur dans un champ.

J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois. La voiture qui patine, plus on accélère, plus ça s’enfonce. De loin, chaussé de longues bottes blanches, casquette noire vissée sur la tête, un homme me fait de grands signes en s’approchant à pas vifs. « Laisse-la où elle est et viens à pied, sinon, tu ne pourras plus repartir. Non pas que ça me dérange, mais il fait froid chez nous, faut avoir le cuir épais ! » Kim Kyungduk ponctue ça d’un grand rire qui brise instantanément la glace. « Tiens, enfile des chaussons, tu seras mieux. Je vais préparer le macha », me lance-t-il sur le pas de la porte, avant de disparaître. La pièce où me reçoit le céramiste est sobre : une table, quelques estampes, une vieille commode en bois. Le poêle à fioul émet des craquements métalliques. Par les fenêtres qui laissent autant passer la lumière que le froid, un paysage monochrome de neige blanche recouvre les rizières endormies. Au loin, la chaîne de montagnes Akasofu barre l’horizon.

« Je n’ai pas choisi cette région, c’est elle qui m’a choisi. Il n’y a pas d’endroit idéal où vivre et exercer son art. Je pense que l’on crée cet endroit. C’est un état d’esprit. Ainsi, que ce soit la céramique, la cuisine ou le thé, si la personne qui les prépare est dans un bon état d’esprit, en bonne santé, ces choses auront une saveur différente. »

[…] Kim s’installe sur un vieux tabouret en bois. Au-dessus de lui, à même le mur, des schémas, des croquis à main levée, des mots en coréen, des dessins de ses enfants. Il lance un pain de terre sur son tour dans un bruit mat, l’humidifie, et monte un vase d’une trentaine de centimètres de diamètre en quelques secondes. « On me dit souvent que je tourne vite, mais pas aussi vite que je parle ! » rit l’artiste. Il détache sa nouvelle pièce avec un fil de fer, puis annonce joyeusement : « À toi ! » Pris de court, je m’installe sur le tabouret en confirmant plusieurs fois avec le céramiste qu’il est prêt à sacrifier un pain de terre. « La céramique, il ne faut pas la prendre trop au sérieux, sinon, c’est là qu’on commence à faire des choses moins intéressantes », lance-t-il en préparant l’argile. Je démarre le tour. Trop vite, les mains qui appuient trop fort, trop d’eau, pas assez, je monte une tour de Babel bosselée avant de tout stopper net, le souffle court ; il reste plus de terre dans mes mains que sur le tour. « C’est très pur ! s’enthousiasme le céramiste avec sincérité. Comme un enfant. Lorsqu’on a trop de technique, comme moi, on perd cette pureté typique de l’enfance. La beauté a quelque chose de mystérieux. Une fleur n’a pas éclos pour plaire aux humains, elle n’est pas née dans ce but, alors pourquoi est-elle si belle ? Pourquoi de telles couleurs ? Cela reste un mystère pour moi, et je ne veux pas forcément en connaître la réponse. » […]

Précédent
Précédent

Les boots ou la vie

Suivant
Suivant

Dany Laferrière