Au sentō

TEMPURA magazine N°2 - Été 2020

© Julia Baier

Au Japon, le bain public, le sento, est beaucoup plus qu’une simple salle de bains géante où l’on vient se laver. C’est avant tout le lieu où se rassemble toute une communauté pour se laisser aller à des confidences, loin de toutes conventions sociales. Mise à nue.

«À l’époque, ça ne posait pas de problème qu’un homme voie ta femme nue.»

Comme toujours, j’arrive un peu trop tard. Les gesokubako (casiers à chaussures) sont tous pleins. Tant pis, je pose mes claquettes au-dessus ; qui irait voler des claquettes usées. « Irasshaimase ! Bienvenue ! » me lance le vieil homme derrière son comptoir. 470 yens. Non, pas besoin de serviette ce soir. Il est 18h30 au Gekkou yu (littéralement « le bain du rayon de lune ») dans l’arrondissement de Meguro, et j’aurais mieux fait de venir plus tôt. Je me déshabille en vitesse, fourre mes affaires dans le casier, y insère 100 yens et passe dans la salle de bains carrelée déjà pleine. Coup de bol, il reste un siège en plastique jaune usé et un oke, une cuvette, en plastique elle aussi. Je me fraye un chemin entre les deux rangées de dos nus et mousseux pour trouver un robinet libre. Au fond, joliment peinte sur le mur carrelé, une cascade grandiose avec des montgolfières colorées, exagérément grandes, qu’on croirait tout droit sorties d’un roman de Jules Verne. Assis à même le sol à la mode Edo, sans tabouret, un homme se récure un dos aussi patiné que du cuir avec une serviette savonneuse tout en se raclant Le sento, c’est cette convivialité et cette tendresse à l’état brut. la gorge. Je m’installe, pousse le distributeur de savon, et commence à me nettoyer minutieusement la moindre parcelle de peau – passage obligé pour accéder au graal. L’unique bain est plein et je dois m’excuser en entrant. Comme un jeu de domino en cascade que l’on pousserait, tout le monde se décale pour me faire un peu de place. Je me fais tout petit près de l’escalier, coincé entre un sexagénaire à la moustache fournie et un enfant sur les genoux de son jeune père. En face, trois collégiens frêles gloussent sous les regards réprobateurs d’un grandpère à la peau fripée qui s’était visiblement endormi, immergé jusqu’au cou. Le thermomètre indique 46,5 degrés. Mais un conseil : n’utilisez pas le robinet d’eau froide pour faire redescendre la température, à moins que vous ne souhaitiez vous prendre une remontrance : le sento, c’est brûlant ou rien. […]

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