À Okinawa, les bases de la discorde
SOCIALTER N°66 - Octobre-novembre 2024
© Emil Pacha Valencia
Si l’archipel d’Okinawa est surtout connu pour ses plages paradisiaques et sa bière Orion, il n’en demeure pas moins un territoire meurtri par l’Histoire.
Sous administration américaine pendant près de 30 ans, il conserve les traces de cet héritage colonial tant dans la pollution des sols et des eaux que dans l’omniprésence des bases militaires, qui occupent toujours 15 % du territoire de l’île. Au grand dam de la population qui se bat pour faire entendre sa voix.
La route qui mène au parc national de Yanbaru, au nord de l’île d’Okinawa, dans l’archipel des Ryukyu, coupe la jungle en deux. De part et d’autre, des hectares de végétation subtropicale. On peut y croiser bon nombre d’espèces endémiques, telles que le râle d’Okinawa, le scarabée Cheirotonus jambar ou encore la fameuse vipère Habu, celle-là même que l’on retrouve un peu partout sur les étals des marchés, préservée dans les bouteilles de habushu, l’eau-de-vie de serpent. Mais ce n’est pas pour observer la faune que Miyagi Akino plonge dans la jungle inlassablement depuis bientôt dix ans. « Voilà ce que j’ai amassé en même pas une semaine, dit-elle en étalant sur la table en plastique de son jardin des dizaines de balles de fusil automatique, des flares, une grenade piquée par la rouille. Des sacs comme ça, j’en ramasse plusieurs fois par mois. Ironique pour un site classé à l’Unesco, pas vrai ? »
© Emil Pacha Valencia
« Ces déchets contiennent des composants toxiques, des matériaux radioactifs ou autres métaux lourds. On nous sert la propagande que les bases américaines nous protègent, alors qu’elles sont la cause de tous nos maux. »
© Emil Pacha Valencia
[…] Signé entre les États-Unis et le Japon le 19 janvier 1960, le SOFA réglemente l’utilisation des infrastructures et des zones octroyées à l’armée américaine, mais aussi le statut de ses soldats sur le sol japonais. « Au-delà des délits et des crimes, cet accord est un blanc-seing pour polluer puisque les bases ne sont pas soumises au “Soil Contamination Countermeasures Act”, qui exige que celui qui pollue soit celui qui paie. Elles ne sont donc jamais inquiétées en cas d’incident », poursuit Sakurai, qui est également porte-parole de l’association Protect citizens’ lives from PFAS contamination (PCLP). Le 20 janvier 2016, le quotidien Ryukyu Shimpo révèle un rapport attestant d’une pollution élevée aux per- et polyfluoroalkyl.es (PFAS) autour de la base de Kadena. Le gouvernement d’Okinawa demande donc un droit de visite, qui lui est refusé par le ministère de la Défense américain, au prétexte qu’il n’existe alors au Japon aucune régulation sur les PFAS. En 2020, le Japon publie finalement un standard sur ces substances chimiques, à la suite d’une fuite massive de mousse d’extincteur (dont certaines contiennent de hautes concentrations de PFAS) dans une zone résidentielle de la ville de Ginowan. « De nouveau, le gouvernement d’Okinawa demande à entrer dans la base de Futenma afin d’identifier l’origine de la pollution. Mais c’est rest. lettre morte. La raison invoquée ? Le SOFA. ».